Un rendez-vous d'une demoiselle ne se refuse jamais. Enfin pour les loups galants. Moi, les seuls rendez-vous que je ne manque pas, ce sont ceux que ma soeur me donne. Ou mon frère. Eventuellement la gamine qui semble m'avoir adopté. Il semblerait que désormais les orphelins choisissent leur famille d'accueil plutôt que le contraire, que voulez-vous ... La trouvant là assise dans la pénombre, je ne peux m'empêcher de lui foncer dessus comme un dératé, la percutant violemment pour la flanquer au sol. Elle se redresse d'un bond, furieuse, et je ricane de la voir bouffer la neige.

- Bah alors la miss, tu tiens plus d'bout !?

Je me mets en position de jeu, jappe d'excitation, me tors en avant pour lui mordre le museau et je pars en courant, l'incitant à me prendre en chasse.

Je me retrouve flanqué au sol avant d'avoir eu le temps de regarder derrière moi l'avancement de ma soeur, mais je me redresse aussitôt pour lui faire face à nouveau et je fonds sur elle pour esquiver à la dernière seconde et partir en courant, la narguant en laissant pendre ma langue hors de ma gueule tout en la fixant dans les yeux. Je dérape, fais demi-tour et la percute pour la repousser et repartir à toute vitesse dans l'autre sens, jouant avec ses nerfs comme un chat avec une pelote de laine. Je zigzague entre les bosquets, fais des arrêts brutaux pour la déstabiliser et lui coupe la route pour l'empêcher de me rattraper, mais ma soeur n'est pas assez stupide pour se laisser avoir bien longtemps et rapidement elle me fait tomber à nouveau. Je roule dans la neige, me retourne, capture son poitrail entre mes crocs et la fiche au sol avec moi, roulant sur elle pour la dominer en me redressant.

Son museau contre le mien m'est un souvenir trop agréable pour que je ne prenne pas le temps d'en profiter, et la jeune louve profite de ce manquement d'attention pour retourner la situation à son avantage. Je grogne de surprise, glisse sous elle, la percute pour la forcer à prendre ses distances. Je pars en courant dans la neige, la queue en panache et les oreilles dressées. Je freine brusquement, me retourne et fonce sur elle. Je glisse sur une plaque de verglas, lui rentre dedans, l'emporte dans ma chute. Le blizzard s'est tut ce soir, comme pour nous laisser profiter d'une soirée entre frère et soeur. Je souris à belles dents, lui fonce dessus, la plaque au sol pour lui lécher la truffe avant de repartir à toute vitesse dans la direction opposée. Mes pattes puissantes frôlent à peine le sol, mon pelage danse dans l'air et la masse sombre derrière moi me suit de près, mais je ne suis pas près d'abandonner la victoire à ma cadette.

Quelques secondes, peut-être même des minutes. Un silence réconfortant autour de nous, et l'espace de cet instant il n'y a plus que nous. Elle contre moi, et moi contre elle. Et puis, dans un rire étouffé, elle se sauve à nouveau. Je dresse les oreilles, me redresse et la poursuit à toute allure, la langue pendante et les membres endoloris par la course. Le cerveau en ébullition, le coeur à l'abandon, je poursuis ma soeur sur une grande distance et finalement, disparais de sa trajectoire. Je la surveille d'un autre point de vue, et lorsqu'elle s'y attend le point je plonge sur elle pour rouler dans la neige en emmêlant nos pelages si complémentaires. Je ris avec elle, mélangeant nos voix à l'unisson comme une seule. Je lui pince les épaules et les membres comme pour la narguer, mais elle me rend coup pour coup jusqu'à ce que nos corps cessent d'être attirés par l'attraction terrestre, et nous restons là tous les deux, l'un contre l'autre pour toujours.